Portait de Thierry Dubois

Thierry Dubois, une vie de marin

Portrait par Laurent Cadoret

Portait de Thierry Dubois

Une voix ferme, décidée. Un ton cash. Le regard bleu, déterminé.

Thierry Dubois pourrait vivre au 19ème siècle. Un bateau comme maison, la mer comme ouvrage. Il serait armateur d’un caboteur, capitaine d’une goélette à hunier. Un homme qui navigue pour gagner sa vie, mangeur d’écoute comme on disait à l’époque.

Il aurait aimé embouquer des canaux, déborder des caps, dérouler de la toile, transporter des marchandises.

En fait, c’est la vie que Thierry mène aujourd’hui à bord de La Louise dont les routes empruntent plus celles des goélettes morutières de la Grande Pêche que les voies commerciales d’autrefois. 


En effet, La Louise ne transporte pas de vivres mais des passagers en quête d’Arctique. Avec eux, Thierry partage sa passion de la mer et des voiliers. Il a la vie dont il rêve depuis toujours. « J’ai la responsabilité du bateau et en plus, il y a les passagers à bord, c’est un boulot 24 heures/24. Même au mouillage. C’est comme quand je faisais de la course au large. J’adore ça. »

Partager l’expérience

Thierry Dubois Arctique

Après une carrière sportive bien garnie, il aurait pu continuer à naviguer en solitaire ou « avec des potes » sur la douce voie des alizés mais il a opté pour le charter arctique, juste renvoi d’ascenseur au monde de la mer, comme pour remercier la vie du bonheur qui est le sien, vivre en mer et partager ce privilège avec les autres. 
« La prévoyance, l’observation, la prudence, l’énergie, la volonté d’apprendre, l’humilité sont des vertus de marin ». Thierry est ce marin rigoureux. Dans tout ce qu’il entreprend, le skipper de La Louise fait preuve de grande rectitude, aime partager son expérience de la mer et éveiller chez les autres des prises de conscience sur nos modes de vie ou la société. Nul volonté chez lui de donner des leçons de morale mais il aime poser son regard sur le monde en offrant la possibilité à ses passagers de s’en échapper le temps d’un voyage à bord de la Louise.
Thierry Dubois a couru dix ans en course autour du monde en solitaire, défendu la cause des Droits de l’Homme avant de construire La Louise et d’emmener des clients dans le Grand Nord, là où peu de gens osent s’aventurer. Faire du charter en Arctique est chez lui une intention ancienne, sa façon de transmettre son expérience. « Je n’ai pas appris tout seul. J’ai grandi en région parisienne, je passais mes vacances dans le Sud-Ouest chez mon grand-père. Il avait un frère marin-pêcheur. Tout gamin, on me racontait des histoires de marins. Ce n’était pas la mer loisir, c’était la mer courage, le travail, le danger. J’entendais des histoires de marins qui ne revenaient pas. Je me souviens d’un voisin de mon grand-père qui avait survécu à un naufrage parce qu’il était le seul à savoir nager à bord du bateau. Il avait appris à nager, chose rare à l’époque chez les marins ». Ce n’est pas une anecdote pour Thierry. Elle dit l’humilité de son rapport à la mer, toujours apprendre et s’adapter. 

La mer, un apprentissage

Depuis l’enfance, Thierry ressent le besoin d’agir, de se former et de maitriser son sujet. A ses yeux pour se faire, il n’y a qu’une seule voie : l’apprentissage. Le sien se fera en Caravelle dans une école de croisière de la baie de Morlaix. Puis à 16 ans, il y devient chef de bord, sur Cavale et Mousquetaire. Dans ce cadre, il navigue à l’ancienne en Manche : cartes du SHOM, papier, crayon, gomme, règle de Cras et manœuvre de port à la voile… La navigation à l’estime est un art qui s’apprend sur les bancs du carré. Les gestes, le vocabulaire, les termes techniques, les courants, le savoir de générations de gens de mer, ces années révèlent le goût de la liberté et de l’autonomie chez le jeune marin.

Avec lui, la croisière ne mène pas que dans les ports mais plutôt dans des mouillages forains.

Thierry a soif d’aventure et aime la beauté des paysages de Bretagne Nord. A peine majeur, il franchit un cap en devenant son propre armateur. Il achète un Muscadet et offre ses services à l’école de croisière bretonne qui lui a mis le pied à l’étrier. A 19 ans, le voici donc maître de son destin. « Il fallait tout faire, j’ai beaucoup appris à cette période: l’avitaillement, la cuisine, le budget pour les croisières, la sécurité, la vie en mer » se souvient Thierry qui aime mettre à la portée de ses équipiers ce que d’autres lui ont appris. « Que Fanch et Marco, les chefs de base de cette époque, soient ici remerciés de leur confiance et de leur enseignement ».

Capitaine, un métier.

Thierry Dubois, marin expermienté

Ce sera donc le sien très tôt, avant une autre expérience formatrice, où à chaque marée il faut être capable de déplacer des tonnes à la seule force des bras. Thierry est en effet employé deux années chez un ostréiculteur du Golfe du Morbihan. Le voici paysan de la mer été comme hiver.

Mais une nouvelle expérience s’ouvre bientôt à lui, un autre métier : la construction navale.

Il va trouver son maître à la Trinité sur Mer. Il s’agit de Thierry Fagnent, patron du chantier AMCO, orfèvre des matériaux composites, de la stratification de carbone pour la construction de pièces de haute qualité. Thierry Dubois apprend sur le tas. Tout: faire, comprendre, construire, il veut tout savoir. Pour y parvenir, il touche à la matière brute, résines et fibres pour fabriquer coques, dérives, safrans. Dans le chantier de Saint-Philibert, le marin qui rêve de large, de goélette et de tour du monde se forge donc d’abord une grande expérience de constructeurs de voiliers de course. C’est le début des années 90, grandes heures de la voile française, des multicoques et des premiers Vendée Globe. Une période où les navigateurs se muent en coureurs professionnels mais où l’esprit pionnier prime encore sur la communication cimentée.

 Ses valeurs

La course au large lui tend les bras. Thierry devient préparateur du trimaran Haute-Normandie de Paul Vatine. Puis enchaîne avec la Mini-Transat qu’il remporte en 1993 sur Amnesty International, le nom de son bateau « Si je fais de la course au large, faut qu’il y ait un sens ! ». La Mini-Transat est une course dont l’esprit fraternel et solidaire convient parfaitement à Thierry. « C’est le lieu de tous les rêves où se nouent des amitiés solides ». Comme celle qu’il entretient avec Bernard Audrezet, ancien de la Mini comme lui et défricheur des croisières polaires au Spitzberg depuis 1995.  
Sa victoire en Mini sous le bras, Dubois passe à la taille supérieure de bateau. Il achète un 60 pieds pour faire la Route du Rhum 1994 et le Vendée Globe 96-97 et offre encore une fois ses mètres carrés de voilures et de coque à Amnesty International. A charge pour Thierry de convaincre des partenaires financiers et techniques de s’engager dans l’histoire en défendant la même cause que lui.
L’horizon 2000 se trace autour du monde. Thierry s’est lancé dans la construction d’un 60 pieds. Une opération commando menée en 14 mois seulement donne vie à Solidaires, joli monocoque avec lequel il s’engage toujours à porter le message des défenseurs des Droits de l’Homme autour du monde. Il boucle le Vendée Globe hors course après une escale technique en Nouvelle-Zélande. L’année d’après, nouvelle circumnavigation : le navigateur termine second d’Around Alone, tour du monde en solitaire avec escale. Il clôt ainsi dix ans de course au large.

« C’était très fort, très beau mais ce n’était pas mon rêve » affirme Thierry qui a tourné la page de la compétition en 2003.

Son rêve, il le partage sur La Louise dans ses navigations arctiques.